samedi 30 avril 2016

À mes amis

TW : dépression, suicide.

Voici ce que j'aurais envie d'écrire à mes amis, si j'osais écrire une telle lettre.
Mais je l'écris ici, où personne ne vient, personne ne lit, et surtout pas mes amis.
Car j'aurais peur, si je leur écrivais cela, de perdre d'un seul coup - tous mes amis.

Mes amis, j'ai peur de ne pas y arriver.
Ne pas y arriver, ça veut dire que peut-être on me retrouvera un jour sur le trottoir en bas de chez moi, la tête fracassée par la chute.
Ou plus probablement, que je confierai le chat à M. en lui disant que je pars en weekend - je sais qu'elle l'aime bien. Je lui posterai ensuite une lettre lui demandant de bien vouloir en prendre soin en expliquant la raison, ou sinon contacter ma mère si elle ne peut pas. Bref mettre le chat en lieu sûr, et ensuite envoyer une lettre dont le temps de transport m'assure à la fois d'avoir le temps de mettre mon projet à exécution et que quelqu'un soit prévenu pas trop longtemps après - parce que je ne voudrais pas que mon corps soit retrouvé des semaines ou des mois plus tard, ça n'est pas un cadeau à faire à personne.
Ensuite je rentrerais chez moi et je prendrais ce truc dont on m'a dit qu'il assurait une crise cardiaque rapide. Rapide à quel point, je ne sais pas exactement. Assez, j'espère.
Ce truc, je ne l'ai pas chez moi. Je sais où en trouver, mais je n'en ai pas acheté pour l'instant. Je pensais en acheter pour en avoir "au cas où", parce que je crois qu'il est toujours bon d'avoir une porte de sortie en cas de maladie, de guerre, de famine. Mais en fait heureusement que je n'ai pas encore prévu cette porte de sortie, qu'elle n'est pas disponible chez moi actuellement.

Mes amis, je ne vais pas bien.
Je n'arrive pas à sortir de chez moi, je n'arrive pas à voir des gens, je n'arrive pas à travailler.
J'ai peur de tout.
Je vis dans une angoisse oppressante, une ambiance de film d'horreur, jour et nuit.
Je suis partie, la situation a pris fin, mais la terreur est restée. Je me sens coincée dedans.
L'intensité varie selon les jours. Il y en a de bons. Au début de l'année, j'ai même vécu un mois entier où je me sentais vraiment bien. Mais ça a pris fin. Dommage, j'ai beaucoup aimé. Mes amis, voyez-vous, certains rêvent de choses extraordinaires, de superpouvoirs, de capacités physiques ou intellectuelles augmentées, d'un bonheur de magazine. Moi je rêve d'une vie normale - avec une quantité d'énergie normale, sans ce voile noir oppressant de l'angoisse, sans cette terreur quotidienne et continue. C'était vraiment délicieux, je vous assure, tant que ça a duré.

Mais globalement je vais très mal.
C'est difficile pour moi de contacter les gens. Ça fait partie de la terreur.
Je crève de solitude.
Mes amis, y'en a pas un d'entre vous qui me fait signe. Vous ne prenez jamais de mes nouvelles. Vous êtes pourtant tous au courant de ma situation. Vous vous dites peut-être qu'il vaut mieux me laisser tranquille. Je l'ai déjà entendu. C'est des conneries. Peut-être aussi qu'interagir avec quelqu'un qui va mal vous met mal à l'aise. Ça je peux comprendre.
Vous imaginez ce que c'est de ne pas pouvoir sortir de chez soi pendant des jours, des semaines, et ne pas recevoir autre chose sur son téléphone que les messages promotionnels de son opérateur, ne pas recevoir autre chose dans sa boîte mail que des newsletter publicitaires ou des annonces automatiques du travail ?
Je n'entends jamais parler de vous.
Je perds tout espoir que quelqu'un que j'aime pense à moi. Je fonds sur place. Je n'ai plus aucune valeur.

Je ne sais pas comment ça s'est fait, ça s'est construit comme ça, c'est toujours moi qui prends l'initiative, qui envoie des messages, qui demande des nouvelles, qui propose de se voir. Sans doute parce que je considère que les autres gens sont plus intéressants, ou plus importants que moi.
Mais la dynamique de nos échanges confirme ce sentiment.
C'est toujours moi qui initie les échanges, et vous me répondez rarement.

On pourrait dire : fais-toi d'autres amis.
Ce n'est pas facile pour moi de me faire des amis. Surtout en ce moment.
Et vous, que j'appelle mes amis, ce n'est pas par défaut, ce n'est pas parce que je n'ai personne d'autre. C'est parce que je tiens à vous. Vous êtes spéciaux. Vous êtes précieux. Vous n'êtes pas très nombreux, non plus. Vous êtes rares.
Mais vous vous faites trop rares.
Et je pense que si vous ne prenez jamais l'initiative de me contacter, c'est pas en pensant à mal. C'est parce que vous n'y pensez pas. Parce que vous êtes très occupés. Parce que vous avez vos propres problèmes. Parce que le temps passe vite. Je sais tout ça. Je sais.
Peut-être aussi que vous n'avez pas besoin de moi autant que j'ai besoin de vous. Et ça, ça peut être effrayant.

Mais j'ai quelque chose à vous demander, et c'est : faites-moi signe de temps en temps, s'il vous plaît. Un petit message. Ça n'a pas besoin d'être long. Ça n'a pas besoin d'être souvent non plus, pourvu que ça arrive de temps en temps. Mais pour moi, c'est vital.
Demandez-moi comment ça va, et ne vous fâchez pas contre moi, ne vous découragez pas, si je vous réponds "pas brillant, pas mieux".
Proposez-moi que l'on se voie, parfois, si c'est possible pour vous.
Je peux comprendre que vous soyez mal à l'aise à l'idée de voir une personne qui va mal. Peur que je vous tire vers le bas, que je plombe l'ambiance.
Rassurez-vous. Si vous m'invitez et que je ne suis pas en état de voir des gens ou de sortir de chez moi, je ne viendrai pas. Si j'accepte l'invitation, c'est que j'en suis capable.
Si je refuse une fois, ou plusieurs, s'il vous plaît n'arrêtez pas de me proposer.
Voilà, c'est tout. C'est simple, presque décevant. Faites-moi signe de temps en temps, proposez-moi qu'on se voie si vous pouvez, et continuez.
Vous n'imaginez pas à quel point, pour moi, ça ferait une différence. Je pense que peut-être, si vous ne le faites pas, c'est parce que vous ne pensez pas que de si petits gestes puissent compter. Mais je vous assure que pour moi, là, ça pourrait bien faire toute la différence.

En vous demandant ça, j'ai peur de ne plus jamais entendre parler de vous. J'ai peur que vous vous fâchiez contre moi. Ça fait partie de la terreur.
Si je fais cette demande, c'est que je n'ai pas le choix. C'est vital.
C'est parce que je pense à vous aussi, et je me demande quels seront vos sentiments si, la prochaine fois que vous pensez à moi, vous vous rendez compte que je ne suis plus là.
La boîte est vide.
Ce ne serait pas de votre faute. Pas de confusion là-dessus.
Mais par contre, vous pouvez m'aider à rester en vie.

J'ai besoin d'aide.
Je demande de l'aide.

Voilà. Prochaine étape : demander de l'aide là où elle pourra être entendue.

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